Pour Dieu, disait le Roi

Christophe Carraud (L 1979) a récemment monté une petite maison d’édition dont il assure la direction éditoriale. Il s’agit des Editions de la Revue Conférence, sorte de prolongement littéraire et esthétique de la revue, qui existe, elle, depuis quinze ans. Les Editions de la Revue Conférence ont reçu, l’an dernier, le Grand Prix de bibliophilie Jean Lurçat de l’Académie des Beaux-Arts.

Naissance d’un beau livre

L’ouvrage dernier-né présenté le 18 juin 2009, " Pour Dieu, disait le roi ", est un livre unissant poème et gravures sous le signe de la typographie et de la taille-douce. Il y faut de longues gestations — près de deux ans pour l’invention des gravures et la traduction fidèle de la maquette, et une main.

La composition s'en est faite au plomb mobile, lettre après lettre, dans l'un des caractères que l'Imprimerie nationale est seule à posséder, le Marcellin-Legrand. Les gravures ont été tirées en deux passages dans l'atelier de taille-douce où l'artiste, Ra'anan Levy, poursuit son travail graphique, dans un kibboutz du nord d'Israël, seul atelier capable de réaliser les gravures de très grand format qu'exige une autre part de son oeuvre. Le papier utilisé est le Kupfer de Hahnemühle, papier amoureux de l'encre de taille-douce, mais suffisamment peu chargé en gélatine pour permettre l'exacte inscription du plomb ; les suites de gravures dont s'accompagnent certains exemplaires ont été tirées sur papier Japon Kozu 23 g, papier végétal d'une extraordinaire légèreté offrant des transparences inédites.

Ra'anan Levy, qui fit ses études à l'Accademia di Belli Arti de Rome puis de Florence, se partage entre Paris et Jérusalem. Il expose fréquemment à Londres ou Tel Aviv — et à Paris aussi : une grande rétrospective de son œuvre, avec un catalogue important, eut lieu en 2006 au musée Maillol. Il expose jusqu'au 12 septembre 2009 à la galerie Pièce Unique, 26 rue de Mazarine et 4,rue Jacques Callot, Paris VIème.

L'auteur

Pascal Riou, enseignant et poète, co-fondateur de la revue Conférence, a publié une dizaine de recueils poétiques (Le jardin dispersé, Il y a beaucoup de demeures, Comme en un jour) chez Cheyne éditeur. Pascal Riou, normalien et agrégé de lettres modernes, conseille les Éditions de la revue Conférence.

Les éditions de la Revue Conférence

Des livres...

Rappelons une évidence : un livre est d'abord un objet, fait d'une certaine matière. L'expérience de la lecture est aussi celle d'une saveur, donc d'un savoir et d'un savoir-faire. Qualité des papiers, soin de l'impression, beauté des caractères, liberté des marges : que ces objets soient dignes, et que leur allure serve celle d'une écriture et d'une pensée. Les Éditions entendent restaurer le moment de l'expérience, conjuguer le plaisir de l'œil et de la main par quoi grandit et s'authentifie celui du cœur et de l'esprit.

Aimer les livres, c'est unir dans une même considération auteurs et lecteurs ; c'est vouloir que par un objet passent la richesse des temps et le feuilletage des pensées. C'est concevoir l'édition comme un service et un honneur. C'est goûter par les livres.

...une expérience...

Une longue fréquentation des deux imprimeries françaises les plus prestigieuses, où se fabriquent les livres des Éditions de la revue Conférence, l'Atelier du Livre d'art et de l'estampe de l'Imprimerie nationale, et l'Imprimerie Darantiere, a permis de faire droit à un métier. Ce qui a valu aux Éditions de recevoir l'an dernier le Grand Prix de bibliophilie Jean Lurçat de l'Académie des Beaux-Arts.

Mais les Éditions sont également issues de la revue du même nom, Conférence, d'un mot emprunté à Montaigne, fondée en 1995 : plus de 18 000 pages publiées, imprimées sur papier Bible, ayant réuni à ce jour plus de 350 auteurs et artistes. Parmi eux, des contemporains, comme Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Jean-Luc Marion, François Cheng ou Jean Starobinski ; et de plus anciens, des Anciens même, en quelque langue qu'ils aient écrit et dont le lecteur trouve en ces pages la première traduction française, d'Augustin à Pétrarque, d'Éphrem le Syriaque à Giuseppe Pontiggia, de Jefferson à Tolkien, du babylonien ancien aux poèmes d'Arseni Tarkovski.

Unir les langues (le latin, l'anglais, l'italien, le russe comme le français), les époques et les soucis, les faire conférer, pour que se dessine aujourd'hui une allure possible de la vie : les Éditions n'entendent pas manquer à ce programme.

Associer les objets et l'écriture, sous toutes ses formes : revue, livres de librairie, livres de bibliophilie ; littérature, poésie, philosophie, textes politiques, images, constats et rêveries ; des volumes allant de 24 pages à plus de 800, des techniques allant de la composition manuelle au plomb et de la taille-douce à l'impression sur rotative. Il y a une abondance à savourer, à méditer : ainsi de toute parole vivante.

...et des visages

Il y va toujours de rencontres et de hasards — pourvu qu'ils soient féconds. C'est le cas pour la lecture : elle en appelle bientôt une autre pour l'approfondir — de proche en proche, jusqu'aux lointains. Quoi de plus improbable que la rencontre de spécialistes de la finance et des assurances, reconvertis pour deux d'entre eux dans le vignoble (Guillaume d'Angerville, Pierre Dupont, François Marais, Alain Rauscher), et d'un normalien, agrégé de lettres classiques, spécialiste du latin de Pétrarque (Christophe Carraud) ?

Il n'y faut que de l'amitié, et de profonds, de sereins enthousiasmes ; une reconnaissance, aussi, à l'endroit de ces livres qui fondent en nous la langue de notre humanité. Les livres, somme toute, s'élèvent comme des vins.

Une nouvelle maison d'édition

Les temps où nous sommes ne se prêtent guère à la création d'une maison d'édition, si modeste soit-elle. Aussi créons-nous une maison d'édition, modeste en effet ! Autant de raisons de proposer de bons livres, et des livres véritables, pas des produits de marketing.

Nous voulons donner à entendre des auteurs auxquels la fausse abondance des quantités éditoriales ne peut ni ne souhaite donner voix : des textes exceptionnels par leur substance humaine et leur qualité de description du monde. Des textes appelant des lecteurs pour qui l'acte de lire est une expérience et une exigence de saveur et de pensée.

Cette démarche n'empêche nullement des succès aussi délicieux qu'imprévisibles : notre premier livre de librairie, La Pipe qui prie & fume de Maurice Chappaz, ce prodigieux écrivain vigneron et biblique disparu le 15 janvier dernier, a connu deux éditions depuis le 15 novembre — tant il est possible de reconnaître la vie à l'œuvre.

Non pas de « gros tirages », mais des tirages justes, se propageant de lecteur à lecteur.

Les Éditions de la revue Conférence ont publié :

Livres de librairie :

• Maurice Chappaz, La Pipe qui prie & fume (avec des monotypes de Pierre-Yves Gabioud).
• Rachel Bespaloff, Sur Heidegger (lettre à Daniel Halévy).
• Cesare Brandi, Roberto Longhi, Sur Morandi (avec des gravures de Morandi et de Gérard de Palézieux).

Ouvrages de bibliophilie :

• XIX sonnets de Pétrarque, nouvellement traduits par Yves Bonnefoy. Gravures de Gérard de Palézieux. (Épuisé.)
• Philippe Jaccottet, Année. Eaux-fortes de Claude Garache.
• Maurice Chappaz, Voici le Garde-Voie. Gravures de Gérard de Palézieux. (Épuisé.)
• Philippe Jaccottet, Très peu de bruit. Gravures de Gérard de Palézieux. (Épuisé.)

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